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16 mars 2018

Jugement du 16 mars 2018 – Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen

Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 17 février 2016 et un mémoire enregistré le 21 décembre 2017, la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, représentée par Me Mazas, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision de la commune de Beaucaire d’installer au cours du mois de décembre 2015 une crèche de la nativité dans le hall de l’hôtel de ville de Beaucaire ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Beaucaire une somme de 2 000 euros à verser à la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée méconnaît l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées aux principes de laïcité, de la liberté de conscience et de neutralité des personnes publiques ; cette décision ne ressort d’aucun usage local et s’inscrit dans une volonté de prosélytisme ;
- cette décision est intervenue en violation du principe de financement des cultes et de neutralité du service public.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 août 2016 et le 8 février 2017, la commune de Beaucaire conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen une somme de 4 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
- les décisions, nos 395122 et 395223, « Commune de Melun c/ Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne » et « Fédération de la libre pensée de Vendée », du Conseil d’Etat statuant au contentieux en date du 9 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Parisien, premier conseiller ;
- les conclusions de M. L’hôte, rapporteur public ;
- et les observations de Me Josserand pour la commune de Beaucaire.
Considérant ce qui suit :
1. La ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen demande l’annulation, pour excès de pouvoir, de la décision d’installer une crèche de la nativité dans l’hôtel de ville de Beaucaire.
2. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » ;
3. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun ; ainsi, aux termes de l’article 1er de cette loi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » et, qu’aux termes de son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Pour la mise en oeuvre de ces principes, l’article 28 de cette même loi précise que : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d’exposition. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi.
4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année.
5. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public.
6. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.
7. A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ;
8. En l’espèce, la crèche en litige a été installée le 4 décembre 2015 sous l’escalier d’honneur, menant aux services publics et à la salle du Conseil municipal, dans le hall d’accueil de la mairie. Elle se situe donc dans l’enceinte d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’installation de cette crèche, qui représente Marie et Joseph à côté de la couche de l’enfant Jésus, accompagnés de santons personnifiant à la fois des personnages bibliques, comme les rois mages, et des personnages provençaux traditionnels, résulte d’un usage local, dès lors qu’aucune crèche de Noël n’a jamais été installée dans les locaux en cause avant le mois de décembre 2014. Elle ne peut non plus être regardée comme résultant d’un usage culturel ou d’une tradition festive à Beaucaire, laquelle ne saurait résulter à cet égard de la seule proximité géographique immédiate de cette commune et de la région provençale. La présence de sapins dans la cour de l’hôtel de ville, accompagnée de décorations et d’illuminations en façade, ne peut être regardée comme constituant, en l’espèce, des circonstances particulières permettant d’inscrire l’installation de la crèche querellée dans un environnement culturel ou festif, en dépit de sa mention dans la page facebook ou le site internet de la mairie. Cette crèche ne peut davantage être directement rattachée à l’exposition «Les Santonales» organisée par l’association «Renaissance du vieux Beaucaire» depuis l’année 2005, dès lors notamment que cette dernière prend place dans un autre bâtiment municipal, situé à environ 250 mètres de l’hôtel de ville où est installée la crèche litigieuse. A la différence de la crèche installée dans le cadre de cette exposition, la crèche en litige ne présente par elle-même aucun caractère artistique particulier et ne peut être considérée comme ayant, en tant que telle, le caractère d’une exposition au sens des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.
10. Il s’ensuit, alors même que la commune de Beaucaire affirme ne poursuivre aucun but prosélyte, que le fait pour le maire de cette commune d’avoir fait procéder à cette installation dans l’enceinte d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, a méconnu l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen est fondée à demander l’annulation de la décision d’installer une crèche de la nativité dans le hall de l’hôtel de ville de Beaucaire au mois de décembre 2015.
12. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Beaucaire une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune de Beaucaire étant la partie perdante, ses conclusions formées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La décision d’installer une crèche de la nativité dans le hall de l’hôtel de ville de Beaucaire au mois de décembre 2015 est annulée.
Article 2 : Les conclusions de la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen et de la commune de Beaucaire au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Beaucaire et à la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen.

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