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16 mars 2018

Jugement du 16 mars 2018 – M. S

Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2017 et des mémoires enregistrés le 27 juin 2017 et le 17 août 2017, M. S demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du maire de la commune de Sorgues refusant de procéder au retrait de la crèche du village provençal de santons installés dans la mairie au cours du mois de décembre 2016 ;
2°) de condamner la commune au paiement de la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la décision attaquée méconnaît l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées aux principes de laïcité, de la liberté de conscience et de neutralité des personnes publiques ; cette décision ne ressort d’aucun usage local et s’inscrit dans une volonté de prosélytisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2017, complété par des mémoires enregistrés le 25 juillet 2017 et 16 novembre 2017, la commune de Sorgues, représentée par Me Lalescu, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de M. S une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable et au surplus les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
- les décisions, nos 395122 et 395223, « Commune de Melun c/ Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne » et « Fédération de la libre pensée de Vendée », du Conseil d’Etat statuant au contentieux en date du 9 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Parisien, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Lhôte, rapporteur public ;
- et les observations de M. S et de Me Lalescu pour la commune de Sorgues.
Considérant ce qui suit :
1. M. S conteste l’installation d’une crèche de la nativité dans une salle du centre administratif de la commune de Sorgues.
2. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » ;
3. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l’article 1er de cette loi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » et, qu’aux termes de son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ». Pour la mise en oeuvre de ces principes, l’article 28 de cette même loi précise que : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d’exposition. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi.
4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année.
5. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public ;
6. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques ;
7. A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ;
8. En l’espèce, la crèche en litige est temporairement installée pour la période des fêtes de Noël dans une salle polyvalente du centre administratif de la commune de Sorgues, distinct de l’ancien hôtel de ville. Ce bâtiment, qui abrite le bureau du maire, la salle où se réunit le conseil municipal ainsi que les services publics municipaux de la commune, doit de ce fait être regardé comme étant le siège de cette collectivité.
9. Il ressort des pièces du dossier que l’exposition de la crèche géante animée en litige fait depuis 14 ans partie des nombreuses animations que la ville de Sorgues propose à ses habitants dans le cadre d’une opération dénommée « Noël à Sorgues », qui comprennent notamment une grande parade et un grand spectacle son et lumière sans connotation religieuse. Cette crèche est réalisée par un artiste dont l’oeuvre est visitée par plusieurs milliers de personnes chaque année et a fait l’objet de reportages télévisés. Ces circonstances particulières permettent de reconnaître à l’installation litigieuse un caractère culturel, artistique et festif résultant d’un usage culturel local et dépourvu d’un quelconque prosélytisme religieux. Par conséquent, elle n’est pas contraire aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques et ne méconnaît pas les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de sa requête, M. S n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée.
11. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. S une quelconque somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. M. S étant la partie perdante, ses conclusions formées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. S est rejetée.
Article 2 Les conclusions de la commune de Sorgues au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Sorgues et à M. S.

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