Le juge des référés du tribunal administratif condamne la commune de Beaucaire à payer 103 000 euros en raison du refus délibéré de son maire d’exécuter une décision de justice
Saisi par la Ligue des droits de l’Homme qui estimait que l’installation d’une crèche de Noël à l’intérieur de l’hôtel de ville de Beaucaire était contraire à la loi de 1905 sur la laïcité, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a ordonné en décembre 2024 au maire de la commune de Beaucaire de retirer la crèche dans un délai de 48 heures, sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Constatant le refus persistant du maire de la commune de Beaucaire d’exécuter cette décision de justice, le juge des référés avait condamné, le 13 janvier 2025, la commune à verser l’astreinte de 19 000 euros (pour 19 jours de non-exécution). En l’absence totale de volonté de la commune de procéder au retrait de la crèche des locaux de la mairie, il a augmenté le taux de l’astreinte à 5 000 euros par jour de retard jusqu’au respect de la décision du tribunal. La crèche n’ayant été retirée de la mairie de Beaucaire que le 2 février 2025, le juge des référés condamne aujourd’hui la commune à payer la somme de 103 000 euros (correspondant à 23 jours durant lesquels la commune a délibérément refusé d’appliquer la décision de justice). 80 % de cette somme sera versé au budget de l’État et 20 % à l’association requérante.
=> ordonnance n° 2500194 du 7 février 2025
L’installation d’une crèche dans les locaux de la mairie de Beaucaire : une illégalité persistante constatée de longue date par la juridiction administrative
Ces décisions du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes s’inscrivent dans le contexte d’une longue série de décisions de justice (voir encadré ci-dessous), rendues par différents niveaux de juridiction et des formations de jugement diversement composées, jugeant avec constance, depuis près de dix ans, conformément à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et à la jurisprudence du Conseil d’État, que l’installation d’une crèche de la Nativité dans le hall de l’hôtel de ville de Beaucaire, qui est un bâtiment public siège d’une collectivité publique, est illégale car contraire aux principes de laïcité et de neutralité des personnes publiques.
Estimant que ce principe constitutionnel de laïcité est méconnu par l’installation d’une crèche dans le bâtiment de la mairie de Beaucaire, le préfet du Gard, dans le rôle que lui confie la Constitution de garant de la légalité, a également demandé cette année au tribunal administratif, comme il le fait depuis plusieurs années, d’annuler la décision du mois de décembre 2024 du maire de Beaucaire d’installer une crèche dans les locaux de la mairie.
Un montant élevé d’astreinte justifié par le caractère fondamental dans notre État de droit des principes méconnus par la commune de Beaucaire
Comme le tribunal judiciaire, le tribunal administratif exerce ses fonctions juridictionnelles « au nom du peuple français » (article L. 2 du code de justice administrative). C’est pourquoi le respect des décisions de justice est un des fondements de notre Etat de droit. Lorsque c’est l’administration qui refuse d’exécuter un jugement, seul le mécanisme de l’astreinte, utilisé à l’encontre de la commune de Beaucaire, peut l’y contraindre. Plus l’inexécution d’un jugement est caractérisée, volontaire et prolongée, plus le montant de l’astreinte doit être élevé pour obtenir que la collectivité publique respecte enfin la légalité. Il est à noter qu’un tel niveau d’astreinte (5 000 euros par jour de retard) avait déjà été infligé à la commune de Beaucaire par une ordonnance du 29 septembre 2021 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Marseille, qui avait condamné la collectivité à payer une somme de 40 000 euros pour avoir refusé de procéder à l’enlèvement de la crèche située dans l’hôtel de ville.
Historique des décisions de justice jugeant illégale l’installation de la crèche de Beaucaire dans le bâtiment de la mairie :
Jugements du tribunal administratif de Nîmes du 16 mars 2018, pour les crèches des mois de décembre 2015 et de décembre 2016, confirmés par deux arrêts du 3 décembre 2018 de la cour administrative d’appel de Marseille ; jugement du 25 juin 2020 pour la crèche de décembre 2017 ; jugement du 18 décembre 2020, rendu sur déféré du préfet du Gard, pour la crèche de décembre 2018, confirmés par deux arrêts de la cour administrative d’appel de Marseille du 20 septembre 2021, étant précisé que les pourvois en cassation formés par la commune de Beaucaire à l’encontre de ces deux arrêts ont fait l’objet de deux décisions de non-admission du pourvoi par le Conseil d’État ; jugement du 17 juin 2022 rendu sur déféré de la préfète du Gard pour la crèche de décembre 2020 ; jugements du 31 octobre 2023 rendus sur déférés de la préfète du Gard pour les crèches de décembre 2021 et décembre 2022.
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Les crèches dans l’espace public : que dit la loi de 1905 complétée par la jurisprudence du Conseil d’État ?
La loi du 9 décembre 1905 fonde la neutralité de l’État en matière religieuse. Cette exigence de neutralité est consacrée à l’article 1er de la Constitution de 1958 qui affirme : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La neutralité de l’État se manifeste également par l’interdiction d’élever ou d’apposer des signes ou emblèmes religieux sur les monuments publics ou les emplacements publics (article 28 de la loi de 1905). S’agissant de l’installation de crèches de Noël par des personnes publiques dans des emplacements publics, le Conseil d’État juge que de telles installations peuvent être admises uniquement lorsqu'elles présentent un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Il précise que cette dimension peut être appréciée en tenant compte du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux. Par ailleurs, le lieu de l’installation est également déterminant, l’appréciation étant particulièrement restrictive lorsque l’installation est réalisée dans un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public (CE, Ass., 9 novembre 2016, Association de la libre pensée de Vendée, n° 395223 ; même jour, Commune de Melun, n° 395122).