-
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 janvier 2015 et 26 septembre 2016, l’association « comité radicalement anti-corrida Europe pour la protection de l’enfance » (CRAC Europe), représentée par Me C, demande au tribunal :
1) d’annuler la décision implicite du 9 novembre 2014 par laquelle le préfet du Gard a refusé d’intervenir afin que les activités de l’école taurine de Nîmes et du centre de tauromachie de Nîmes soient interdites aux mineurs ;
2) d’enjoindre au préfet du Gard de prononcer l’interdiction des activités de ces associations dans un délai de huit jours, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du préfet devait être motivée ; faute d’une telle motivation, elle est illégale ;
- le préfet a manqué à ses obligations en matière de police, telles qu’instituées par les dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-28 du 5 janvier 1959, en ne mettant pas fin à des activités troublant de façon caractérisée et grave l’ordre public ;
- les activités des écoles, de par leur violence, portent atteinte à l’intérêt des enfants et méconnaissent le paragraphe 11 du préambule de la Constitution de 1946 et les stipulations des articles 3-1 et 19 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, ainsi que l’a relevé l’Organisation des Nations-Unies ;
- sans qu’y fasse obstacle la tolérance organisée par le législateur en faveur de la corrida, qui est une activité distincte, l’enseignement de la tauromachie à des enfants constitue une infraction aux articles 521-1 et 227-21 du code pénal, dans la mesure où il vise à faire perdurer artificiellement cette pratique et où il encourage les enfants à commettre des actes de cruauté envers les animaux ; il n’est en tout état de cause pas possible de parler de tradition les concernant, leur création étant très récente ;
- la tauromachie met, compte tenu du poids et de la taille des animaux, les enfants en danger ;
- les activités des écoles, en ce qu’elles incitent les mineurs à commettre des actes de cruauté, sont contraires à la dignité humaine, telle que garantie par l’article 16 du code civil et le préambule de la Constitution de 1946 ;
- les pratiques enseignées, par la douleur qu’elles infligent aux animaux, sont contraires aux conventions européennes relatives à la protection des animaux dans les élevages ou des animaux domestiques.
Par un mémoire, enregistré le 3 août 2016, l’école taurine El Toreo, représentée par la SCP GMC Avocats associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l’association CRAC Europe au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu’elle soulève.
Par un mémoire, enregistré le 8 septembre 2016, le centre de tauromachie de Nîmes, représenté par Me B, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l’association CRAC Europe au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu’elle soulève.
La demande d’aide juridictionnelle présentée par le centre de tauromachie de Nîmes a été rejetée par décision du 12 octobre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;
- les conventions européennes sur la protection des animaux dans les élevages, des animaux d’abattage, des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques et des animaux de compagnie ;
- la Constitution ;
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l’ordonnance n° 59-28 du 5 janvier 1959 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. L’hôte, rapporteur public,
- et les observations de Me C, représentant l'association CRAC Europe, et de Me Chauvet, représentant l’école taurine El Toreo.
1. Considérant que, par courrier du 8 septembre 2014, réceptionné le lendemain, l’association « comité radicalement anti-corrida Europe pour la protection de l’enfance » (CRAC Europe) a demandé au préfet du Gard d’intervenir afin que les activités de l’école taurine de Nîmes « El Toreo » et du centre de tauromachie de Nîmes soient interdites aux mineurs ; qu’elle sollicite du tribunal l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur cette demande ;
Sur les conclusions à fin d’annulation et d’injonction :
2. Considérant que la décision contestée, qui refuse de prononcer une mesure de police, ne fait pas partie des décisions qui doivent être motivées en application de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable ; que le moyen tenant au défaut de motivation doit dès lors, en tout état de cause, être écarté ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de l’ordonnance du 5 janvier 1959 réglementant l’accès des mineurs à certains établissements : « Sans préjudice de l'application des lois et règlements en vigueur, le préfet peut, par arrêté, interdire l'accès des mineurs de dix-huit ans à tout établissement offrant, quelles qu'en soient les conditions d'accès, des distractions ou spectacles, lorsque ces distractions ou spectacles ou la fréquentation de cet établissement se révèlent de nature à exercer une influence nocive sur la santé ou la moralité de la jeunesse. / (…) » ;
4. Considérant que les associations dont les activités sont en litige ne constituent pas, au sens de ces dispositions, un « établissement » qui offrirait des distractions ou spectacles et auquel le préfet pourrait interdire l’accès ; qu’il ne saurait, dès lors, être soutenu que la décision contestée a été prise en méconnaissance des dispositions de l’ordonnance du 5 janvier 1959 ;
5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; / (…) » ;
6. Considérant qu’aux termes de l’article 521-1 du code pénal : « Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. / (…) / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. (…) » ;
7. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 521-1 du code pénal que le législateur a entendu autoriser la pratique tauromachique lorsque, tel que c’est le cas à Nîmes, une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ; qu’il ne saurait, dès lors, être prétendu que l’enseignement de cette pratique, alors même que son institutionnalisation serait relativement récente et qu’il s’adresserait à des mineurs, porterait atteinte à l’ordre public en ce qu’elle constituerait une infraction aux dispositions de l’article 521-1 du code pénal ou de l’article 227-21 du même code, qui réprime le fait de provoquer un mineur à la commission d’un crime ou d’un délit ; que l’association requérante ne saurait davantage invoquer les stipulations des conventions européennes sur la protection des animaux dans les élevages, des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques et des animaux de compagnie, lesquelles n’ont en tout état de cause pas vocation à s’appliquer aux taureaux utilisés dans de tels cadres ; qu’elle ne peut, enfin, utilement se prévaloir des stipulations de la convention européenne sur la protection des animaux d’abattage, qui n’a pas été ratifiée par la France ;
8. Considérant qu’il ne saurait être soutenu que l’enseignement de cette pratique, explicitement autorisée par le législateur, qui ne méconnaît aucun droit constitutionnellement garanti, porterait, en tant que tel, atteinte à la dignité de la personne humaine ;
9. Considérant que les stipulations de l’article 19 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant créent seulement des obligations entre les États parties et ne produisent pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne ; qu'elles ne peuvent, par suite, être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir ;
10. Considérant qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier, en l’absence notamment de toute étude scientifique, que l’enseignement dispensé, qui vise à perpétuer, ainsi qu’il a été dit précédemment, une pratique traditionnelle légale, serait, au regard des actes que les élèves sont conduits à pratiquer sur les animaux, contraire à l’intérêt supérieur de ces enfants, ou de nature à exercer sur leur santé ou leur moralité une influence nocive, de façon telle que le préfet aurait été tenu d’agir afin que cet enseignement leur soit interdit ; qu’il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les élèves seraient, à raison du poids de l’animal, mis en danger physique ; que le préfet n’a ainsi ni méconnu les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, ni manqué à ses obligations en matière de police administrative en prenant la décision contestée ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Gard a refusé d’intervenir afin que les activités de l’école taurine de Nîmes « El Toreo » et du centre de tauromachie de Nîmes soient interdites aux mineurs doivent être rejetées ; que les conclusions présentées à fin d’injonction doivent également, par voie de conséquence, être rejetées ;
Sur les conclusions à fin d’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l’association CRAC Europe demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de l’école taurine « El Toreo » et du centre de tauromachie de Nîmes ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’association CRAC Europe est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’école taurine « El Toreo » et le centre de tauromachie de Nîmes sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association « comité radicalement anti-corrida Europe pour la protection de l’enfance », à l’école taurine « El Toreo », au centre de tauromachie de Nîmes et au ministre de l’intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.